Mot de l’auteur :
« Carte blanche sur le thème de la marche ! » : tel est le défi qui m’a été lancé par l’éditeur Marc Leboucher, un bel après-midi d’automne, alors que je humais le grand air des sentiers côtiers de Bretagne. Au premier abord, j’ai été un peu décontenancée par l’ampleur de la tâche et par ce sujet qui avait déjà fait couler beaucoup d’encre. Puis, au fur et à mesure de ma progression sur ce sentier, ont commencé à apparaître, les uns après les autres, des hommes et des femmes que j’ai croisés sur ma route au cours de mes nombreux voyages à pied et de trente années d’activités consacrées à ce thème. Il y avait, tout d’abord, des grands voyageurs (Sylvain Tesson, Jean-Louis Étienne, Bernard Ollivier, Olivier Lemire), côtoyés lors de festivals ou de salons et avec qui j’ai lié amitié. Ensuite, des pèlerins, avec qui j’ai sillonné les chemins ou réalisé des reportages (Édouard Cortès, Claire Colette, Céline Anaya Gautier). Dans un autre registre, ont émergé de mon souvenir des écrivains ou philosophes dont j’avais apprécié les livres (Olivier Bleys, Frédéric Gros) puis, en ordre dispersé, un sociologue (David Le Breton), un thérapeute (Michel Gallet) et un professeur de yoga (André Weill). Enfin ont pris place dans cette galerie personnelle trois religieux, également rencontrés au hasard de la vie (frère François Cassingena-Trévedy, frère Gilles Baudry, Thich Nhat Hanh).
Ces quinze personnes, aux parcours très différents, avaient tous un point commun : vivre la marche non pas comme un acte banal, mais comme une expérience essentielle. Ce projet m’a donné des ailes. J’ai alors pris mon bâton de pèlerin afin de poursuivre mon chemin avec eux. Ce livre est le fruit de nos échanges, dans la joie du partage.
Extrait du chapitre « Canaliser l’énergie – avec Sylvain Tesson »
Les risques, Sylvain Tesson les a souvent bravés. Un soir d’août 2014, à Chamonix, il tombe du toit d’une maison qu’il escaladait. Il s’écrase sur le dos, se fend le crâne et récolte une vingtaine de fractures. Sur son lit d’hôpital, où il restera cloué pendant quatre mois, il jure : « Si je m’en sors, je traverse la France à pied. » Sitôt debout, malgré les traumatismes de son corps (« J’avais pris 50 ans en 8 mètres », commente-t-il), il tourne le dos au centre de rééducation pour se lancer sur les « chemins noirs », ces sentiers campagnards tracés sur les cartes d’un trait discret. Il devra puiser très loin dans son réservoir intérieur pour en extraire l’énergie nécessaire à cette remise en « état de marche ». « Je crois à la perfusion de la géographie dans nos âmes », déclare-t-il. Plus concrètement, sur ces chemins retrouvés, il reconquiert son énergie au contact de la nature : il salue les arbres, s’arrête près des fontaines, expose son corps au soleil, dort à même la terre. « La chute, le coma, l’hôpital m’avaient dévitalisé, écrit-il dans Le Figaro magazine. La marche me rendait mes forces. Elle injectait sa bonne sève dans les veines, les fibres, les cellules. »
CQFD. Dans ses expéditions lointaines comme par cette échappée de la Provence au Cotentin, Sylvain Tesson expérimente le processus énergétique de la marche. Sans doute sa capacité de forage est-elle plus importante que chez le commun des mortels, mais il montre à tous une voie pour capter, au contact de la terre, le flux de la vie. En feuilletant son Éloge de l’énergie vagabonde, je tombe sur cette dédicace : « Pour Gaële, pèlerine jaillissante qui cherche l’énergie au détour des chemins. » J’y inclus tous les marcheurs qui, dans leur périmètre d’exploration, parviendront à libérer leur gisement intérieur et, tant qu’il en est encore temps, à l’alimenter des énergies renouvelables que nous offre notre mère nature.
Éditions Salvator, février 2019