Pourquoi j'ai écrit ce livre ?
La demande d’aide et de sens est forte pour accompagner le temps du deuil. Beaucoup de publications ont vu le jour, qui chacune l’abordent sous un angle particulier : la psychologie, les témoignages, la dogmatique = démarche de foi, la liturgie : rites et célébration des obsèques, recueils de textes - bibliques ou profanes.
Une autre approche est proposée ici, originale et simple. Elle s’adresse directement aux endeuillés, croyants ou en recherche, pratiquants réguliers ou occasionnels : de culture chrétienne en tout cas. Des chapitres courts abordent les différentes composantes du deuil et quelques situations particulières (mort d’un enfant, suicide, mort dont on se sent responsable). Ils mêlent concret des questions qui surgissent et ton méditatif, fraternel. Les thématiques abordées ne répondent pas forcément à un ordre particulier, à l’image de ce temps spécifique, durant lequel notre monde intérieur est agité en tous sens. Ne rien esquiver du drame de ce moment, tout en s’autorisant un autre regard pour tenter de découvrir, au cœur de chaque problématique, en quoi ce qui est vécu peut être un moment de vie. Ce regard est nourri de l’Evangile, d’une spiritualité accessible et de ma propre expérience comme de celle des familles en deuil elles-mêmes, accompagnées pendant vingt ans. Des mots que j’espère nourrissants, capables d’alimenter un partage ou d’ouvrir sur le silence de la méditation.
Extrait :
L’Absence ardente
Qui a expérimenté l’absence de l’être aimé sait combien elle est déchirante. Chaque première fois sans lui ravive le manque : fêtes, anniversaires et rassemblements familiaux, privés que nous sommes de l’odeur de sa peau, de son sourire, de son regard sur le monde. La psychologie, la spiritualité comme la littérature, le cinéma, la musique ont maintes fois développé ce thème pour décrire la réalité qui meurtrit. Qui ne se souvient ici de la célèbre maxime d’Alphonse de Lamartine : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » (Méditations). Certes le manque creuse en nous un vide, bien amer à certaines heures. Mais que faire de ce vide ? À le considérer de façon brute, il n’est qu’arrachement et violence faite à notre cœur. Une béance dans notre amour.
S’il est évident que la présence de l’autre nourrit notre soif de tendresse et de communion, et que son absence nous laisse démunis, peut-être pouvons-nous poser nos regards plus loin encore. Pour voir au-delà du vide. Chacun des événements de notre vie a en effet toujours plusieurs visages, et le sens que nous pouvons lui donner varie selon la façon dont nous le regardons. Ainsi, l’absence n’a-t-elle pas aussi quelque chose à nous apprendre ? Par-delà la gangue amère de la séparation, ne contient-elle pas des fruits au goût insoupçonné ?
L’absence de ce proche, par exemple, en mettant à l’épreuve l’amour que nous lui portons, ne nous oblige-t-elle pas à trouver les mille manières neuves de lui manifester encore notre affection par notre vie de chaque jour ? Cette privation ne nous donne-t-elle pas aussi de nous rendre compte de l’importance de chaque instant, nous pressant de dire à ceux qu’on aime combien nous les aimons ? Pas de temps à perdre en futilités ou en vaines querelles. Chaque minute apparaît pour ce qu’elle est : précieuse, essentielle, unique et brève. À une époque où règne trop souvent l’individualisme et le repli sur soi, l’absence des êtres aimés, peut nous aider à prendre conscience que nous avons radicalement besoin les uns des autres.
Et si ce sont des défauts et non des qualités que l’absence laisse surgir, si ce sont des incompréhensions et des discordes plutôt qu’une vraie proximité, n’est-ce pas une opportunité d’aller au-delà des apparences et des jugements ? Sans doute que les attitudes négatives, peut-être même méchantes que laissait paraître ce proche, étaient pour lui d’abord un fardeau lié à une blessure non guérie et non dite. Ne nous ont-elles pas provoqués à la compréhension et à la miséricorde en mettant à l’épreuve nos qualités de patience, de pardon, de douceur ? Ne nous ont-elles pas finalement enrichis et simplifiés en élargissant notre cœur par un amour sans cesse plus grand ?
Dans un monde de toute-puissance, l’absence peut encore être porteuse d’une autre vertu : en nous ramenant à une certaine modestie devant les événements que nous ne pouvons maîtriser et qui nous dépassent. Et si l’impuissance à empêcher la mort de nos proches était l’occasion d’une plus grande humilité face aux impondérables de l’existence ?
L’absence ne nous renvoie-t-elle pas, de surcroît, à la part d’infini et d’immatériel dont nous sommes faits et dans laquelle nous croyons ou voulons croire que notre défunt vit déjà ? Cette invisible plénitude n’est-elle pas le lieu de nos nouveaux rendez-vous ? Il est possible de la toucher du doigt à chaque fois que nous arrêtons notre course quotidienne pour accéder à une intériorité qui nous régénère.
En osant traverser le fleuve, parfois tumultueux, de la peine et de la révolte, l’absence de celui que l’on aime peut donc se révéler avec le temps comme un cadeau précieux qu’il nous lègue. Comme en creux, nous découvrons ou retrouvons l’immense valeur de notre vie que nous laissions s’écouler de façon trop superficielle ou inattentive. Voici que ce séisme intérieur nous jette bien au-delà de la superficie des choses, et nous donne la possibilité de rejoindre nos racines.
Là d’où tout part.
Et où tout se rejoint.
Faire vie du Deuil, Editions du Cerf : "Livre Coup de Coeur" des librairies La Procure. Traduit en italiens : Accompagnare il lutto Parole per i giorni del dolore. EDB Edizioni
Né en 1965, je partage mon temps entre une activité de coaching spirituel, des conférences, la rédaction de livres (thématique: spiritualité) et un travail auprès des plus démunis au Samu Social de Paris. Je suis aussi Président du Comité de Soutien Clic sur la Bible (CSCB) : association caritative dont le but est de favoriser la croissance de la paix entre les personnes et entre les religions.
Plus d'infos : www.philippe-baudasse.com et https://www.facebook.com/philippebaudasse/