Pourquoi j’ai écrit ce livre ?
Il n'y a pas de "pourquoi" à l'écriture d'un livre (en ce qui me concerne), du moins pas de cause précise, et encore moins d'intention définie. Ce qui met chaque fois l'imagination en mouvement et provoque le désir d'écrire me reste obscur, et je ne cherche pas à clarifier cela; ce qui m'importe, c'est la montée d'une inspiration, l'amorce d'un élan. Je pars toujours de très peu de choses - une image mentale, une pensée et/ou émotion (les deux se mêlent en fait) qui persiste. Puis je vais à tâtons, j'invente à mesure, les images en engendrant de nouvelles, les idées en entraînant d'autres; je fais confiance à "la logique" - à la fois folle et rigoureuse - de l'inconscient, aux remuements de la mémoire, à la plasticité et aux imprévus de l'imagination.
Pour ce dernier livre, j'amorçais une histoire mettant en scène un homme d'un âge déjà avancé, qui va rendre visite à sa mère très âgée, résidente d'une maison de retraite. Les liens entre enfants vieillissants et parents en fin de vie sont souvent troublants, poignants. Mais j'avais à peine commencé à écrire que le confinement est arrivé, et mon personnage à son tour s'est trouvé mis à l'arrêt. C'est alors le thème de la solitude qui s'est imposé, cette solitude qui a saisi tant de monde, de diverses manières. Et plusieurs personnages se sont invités dans ce désert soudain ouvert (ou refermé?) autour de nous - et plus encore, dans le vide qui s'est ouvert en nous.
Extrait :
Elle marche lentement dans les rues, passe devant le square de son quartier dont le portillon est verrouillé…
Des herbes folles envahissent l’espace, des pissenlits et des boutons d’or ont essaimé un peu partout, au pied des arbres, en bordure des allées. Elle se souvient s’être amusée enfant avec ces petites renoncules d’un jaune éclatant, si luisantes qu’elles se reflètent sur la peau quand on les approche tout près du visage, y allumant de minuscules halos. Elle aimerait bien en cueillir une, mais les fleurs d’or brillent de l’autre côté de la grille, tout aussi désirables et inatteignables que le sont les humains. Les fleurs sont en liberté derrière les barreaux, les gens sous étroite surveillance dans la rue. Peut-être le début d’un retournement des rapports de force sur la Terre, se dit Magal, et, séduite par cette possibilité, elle s’imagine transformée en palmier marcheur, qui, s’il se déplace très lentement, environ d’un mètre par an, sait fort bien s’orienter, migrer toujours vers la lumière et choisir les bons sols….
Éditions Albin Michel, Janvier 2021
Depuis trente ans Sylvie Germain construit une œuvre imposante et cohérente, couronnée de nombreux prix littéraires : Prix Femina en 1989 pour Jours de colère, Grand Prix Jean Giono en 1998 pour Tobie des Marais, Prix Goncourt des lycéens en 2005 pour Magnus, Grand Prix SGDL de littérature 2012 pour l’ensemble de son œuvre.
Lauréate du prix Ecritures & Spiritualités en 1999 pour son essai Etty Hillesum, Sylvie est membre du comité d’honneur de notre association et a présidé le jury du Prix E&S de 2017 à 2020.