Agnès Charlemagne :"La foi ne se transmet pas, elle se reçoit"

30 / 01 / 2021
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Extraits de l'interview de Vincent Delcorps paru dans le journal belge Dimanche, janvier 2021 https://www.cathobel.be/2021/01/agnes-charlemagne-la-foi-ne-se-transmet-pas-elle-se-recoit/

(…) Que voulez-vous donc dire à tous ces parents et grands-parents ? Qu’ils doivent d’abord se mettre à l’écoute ?

En France, j’anime des formations à destination des animateurs en pastorale en contact avec les jeunes. Ils me disent souvent : « Si on libère la parole, les jeunes vont me poser des questions. Or, je n’ai pas étudié la théologie, je ne me sens pas compétent pour leur répondre… » Notre éducation a mis l’accent sur la performance et la réussite. L’un des travers de cette éducation est cette idée selon laquelle à chaque question il y aurait une réponse. Qui, elle-même, permettrait à l’enfant d’accéder à la deuxième question. En fait, on transforme ce qui devrait être un dialogue en un quizz ! Pourtant, Jésus fait exactement l’inverse. Dans l’Évangile, il demande aux gens : « Que veux-tu savoir ? Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Le premier chapitre de mon livre est intitulé « Se taire ». Ce n’est pas là une forme de stratégie ; c’est juste comme ça que ça marche ! Il faut se taire pour apprendre la question de l’autre. Et surtout, il ne faut pas y répondre.

Vraiment ?

Y répondre, c’est dévier l’autre de sa propre question. C’est lui donner notre réponse, mais pas la sienne. C’est le distraire. Sa question est le premier pas d’une promenade. Cela n’a pas de sens d’essayer d’emmener le jeune sur le terrain de notre propre promenade.

Il faut donc plutôt l’accompagner, l’inviter à faire lui-même ses découvertes ? C’est ça ?

Je dirais surtout qu’il faut être . Et renvoyer une attitude de confiance. C’est important, ça : quand ils voient poindre la subversion, la majorité des parents et grands-parents s’inquiètent. Et tentent de se rassurer : « Ohlala, tu es en train de décrocher. Il faut absolument que tu viennes avec moi à la messe dimanche… » Lorsqu’un enfant commence à se poser des questions, il faut lui dire que sa quête est passionnante. « Tu as chopé une belle question ; c’est un poisson qui va t’emmener très loin. » Il faut également le remercier : « Merci car grâce à toi, je vais aussi me poser cette question ». Il ne s’agit donc pas seulement d’accompagner le jeune, mais aussi de se laisser accompagner par lui. Maintenant, force est de constater qu’au XXIe siècle, les enfants formulent leurs questions d’une manière tout à fait différente que par le passé. Ce qui fait que les parents ne s’y retrouvent plus. Ils ont l’impression que les questions qui émergent sont de l’ordre du refus. En fait, les jeunes d’aujourd’hui entrent dans la même demeure que leurs prédécesseurs, mais pas par la même porte.

Pourquoi ce qui marchait au XXe siècle ne marche-t-il plus aujourd’hui ? Et au fond, est-ce que ça marchait vraiment au XXe siècle ?

Belle question. Chacun pourrait se la poser. Par le passé, les questions étaient toujours posées de la même manière, et les réponses étaient toujours profilées de la même façon. Ça a favorisé un sentiment de reconnaissance et d’identité très fort : le cadre était partout le même, avec les mêmes objets, la même musique… Au milieu de ce cadre, moyennant un cheminement intérieur personnel, une question intime pouvait émerger. Mais ceux qui n’ont pu faire ce chemin n’ont gardé que le cadre. Un cadre qui pouvait se révéler rassurant et pratique. Mais qui était surtout un vernis. Le monde d’aujourd’hui n’est plus le même. On voyage comme on respire, on est sans cesse confrontés à des personnes et religions différentes… On ne retrouve plus à l’extérieur ce que les parents nous ont transmis.

Pensez-vous que le christianisme puisse encore parler à un jeune d’aujourd’hui ?

Posons la question autrement : qu’est-ce qui fait que le christianisme, source tellement abondante et éternelle, ne parle plus à aucun des jeunes que je rencontre ? C’est une question que nous devons nous poser. On ne peut pas accuser les jeunes de ne pas répondre à une source qui ne leur parle plus.

Je vous retourne la question : pourquoi cette religion ne leur parle-t-elle plus ?

Il y a plusieurs éléments. Je crois que le langage est une barrière colossale.

Le langage ?

Le langage de l’église est plein de mots incompréhensibles, tels que miséricorde, salut ou résurrection. En plus, il fait fortement référence à l’effort et à la souffrance. Ce n’est pas très vendeur ! Pas plus que les images : voyez les Christ en croix, par exemple. Si vous allez voir du côté du bouddhisme, la porte d’entrée est très différente. Là, il est d’abord question d’abondance. Évidemment, ceux qui creusent se rendront compte que l’effort demandé est immense. Mais ceux qui demeurent à la première marche ne perçoivent que ce qui est attirant.

Si vous étiez évêque, quel type de mesure prendriez-vous ?

Je développerais la méthode « T’es où ? » de manière plus généreuse (rires). Je vois que cette méthode porte ses fruits. Il faut permettre aux jeunes d’être entendus dans leurs questions, de se rendre compte qu’une question en entraîne une deuxième, d’écouter la question de leurs voisins… Ils se rendent compte alors qu’il est possible de se poser une même question de bien des manières. En fait, toutes ces questions les passionnent, mais elles sont tellement taboues qu’ils n’en parlent jamais. Il faut donc libérer la parole. C’est le début d’une appropriation. Ensuite, il faut rendre la parole de Dieu attirante. Ce qu’elle est d’ailleurs censée être : la Bible, ce sont des histoires qu’il faudrait se raconter le soir au coin du feu, comme avant. Il faut donc partir des questions des jeunes, avant de montrer que celles-ci sont universelles et que toutes les civilisations se les sont posées. (…)

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