Agnès Charlemagne : "J'entends la parole des enfants comme des psaumes"

28 / 04 / 2021
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Extraits de l'interview de Marie-Christine Vidal paru dans Panorama, octobre 2020

(…) Vous animez des ateliers avec des enfants de différentes religions. Comment se passent les discussions ?

Très bien ! Pourquoi, dans l’enseignement catholique, sépare-t-on les catholiques des autres au moment de l’heure de « pastorale » ? Ce cloisonnement me semble éminemment grave. On offre vraisemblablement aux jeunes catholiques un savoir chrétien mais on les fait complètement passer à côté de l’expérience de la révélation intime, qui passe par la rencontre. Jésus, dans l’Évangile, n’arrête pas de rencontrer des gens autres. « Je n’ai jamais vu une telle foi en Israël ! », dit-il au centurion, qui n’est pas croyant, pas juif, pas pratiquant. Il sait juste qu’il peut faire confiance à Jésus. C’est ça, la base !

Il nous faut nous nommer entre différents croyants, entre non-croyants. Notre XXIe siècle, c’est cela. Si l’on ne passe pas par là, on vit dans la peur, qui conduit à la haine. Mais cette haine est démontable. Il suffit d’aller là où les enfants sont déjà amis et d’entretenir cette amitié. Quand Christian de Chergé (moine, assassiné à Tibhirine, en Algérie en 1996, ndlr) parle des musulmans, il dit que nous avons le même puits, la même soif, la même eau, mais qu’on ne se désaltère pas de la même manière. En dialoguant avec un musulman, je vais me poser des questions différemment de ce que j’ai l’habitude de faire avec les chrétiens, et je vais mieux comprendre ma propre coutume. Le dialogue nourrit chacun dans la question qui le préoccupe déjà. D’abord, il révèle que cette question existe. Tout à coup, des portes s’ouvrent. Imaginez un enfant chrétien qui dit : « Je me rends compte que… », un autre qui rebondit : « Moi je crois pas mais… », et un musulman qui ajoute : « Moi c’est pareil, sauf que… » Ils échangent. Cela donne une musique, un rythme, en mêlant l’amitié à l’expérience spirituelle. Et ainsi, ils progressent fondamentalement.

Par ailleurs, vous enseignez à des étudiants. Avez-vous tenté des choses avec eux ?

Je suis professeur d’illustration dans une école de communication visuelle, à Aix-en-Provence. Dans cette école, depuis trois à quatre ans, je prononce le nom de Dieu sans tabou. Là-bas, j’ai fait un atelier passionnant avec une classe. Je leur ai demandé d’illustrer le silence. J’ai utilisé la méthode T’es où ? de façon… cachée. Ils ont adoré. Une étudiante a écrit : « Souffrir en silence : le silence souffre aussi. » Mais pour moi, c’est la définition même du Christ ! Je ne le lui ai pas dit, parce que le contexte ne s’y prêtait pas, mais si cette jeune fille sait que quand moi, je crois au Christ, je crois exactement en ce qu’elle vient de dire, on n’est plus séparées. On est réunies.

Vous arrive-t-il de retrouver des enfants devenus adultes ?


Oui. Il y a peu de temps, par exemple, j’ai retrouvé Michael. Il travaille dans la mode, à Paris. Je l’ai eu au collège. Aujourd’hui, avec ses copains de l’époque, ils parlent encore de l’atelier. Il m’a confié : « Finalement, tu nous as amenés à chaque fois dans un rituel. » Je n’emploie jamais ce mot, mais il voyait bien que nous entrions dans un territoire sacré. Un autre m’a dit : « En fait, tu nous as respectés. » C’est cela le B.A.ba : ne pas poser de jugement et dire à l’autre « Ta pensée m’intéresse »

Ces rencontres avec les enfants ont-elles changé votre façon de croire ?

On a souvent l’impression que notre foi est acquise, mais face aux enfants, on découvre qu’elle est en cheminement. Ma découverte, c’est cela : la foi est plus une histoire de questionnement que de réponses. C’est pour cela qu’on la creuse. C’est forcément fécond quand on s’adresse aux enfants qui ont ce mode de questionnement. Ils nous révèlent des éléments inédits qui nous délogent ou nous renforcent. Dans un entretien à La Croix L’hebdo (1er juin 2020), le prêtre tchèque Tomas Halik confiait : « Si l’Église doit remplir un rôle thérapeutique et être un « hôpital de campagne », (…) elle doit (…) être là pour tous, et pas uniquement pour les croyants. Offrir à tous un accompagnement spirituel sans prosélytisme, arrogance cléricale ou paternalisme, dans un dialogue et un partenariat réel, sans se placer uniquement dans une position enseignante mais en se laissant enseigner aussi par les autres. » C’est le résumé de ce que j’applique. L’enseignant est enseigné. C’est cela, être catéchiste : on donne ce qu’on est, ce qu’on a vécu, compris, lu, entendu. Si l’on n’est pas transformé nous-même, il ne s’est rien passé.

Comment entendez-vous l’appel du pape François à aller vers les périphéries ?

Aller vers les périphéries, c’est commencer par envisager les frontières à l’intérieur de nous-mêmes. Et non pas apporter notre religion aux autres. Notre mission de chrétiens, c’est d’être dans le dialogue, dans la rencontre, et comprendre ce que Dieu attend de nous, sans savoir ce qui va se passer. Dieu seul convertit. Et on ne se convertit qu’à Dieu, pas à une autre religion. Il faut vraiment le redire ! Mon mari est non-croyant. Je ne prie pas pour qu’il devienne croyant. Je ne peux pas demander quelque chose qui ne m’appartient pas ! J’aime mon mari et il s’avère qu’il est non-croyant. Sa présence au quotidien m’aide à devenir une chrétienne exigeante, délicate, authentique.

(…)

Extraits de l’interview de Marie-Christine Vidal, Panorama, octobre 2020

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